To see a World in a Grain of Sand
And a Heaven in a Wild Flower
Hold Infinity in the palm of your hand
And Eternity in an hour
Voir le monde en un grain de sable,
Un ciel en une fleur des champs,
Retenir l’infini dans la paume des mains
Et l’éternité dans une heure.
—uit Auguries of Innocence, William Blake (1757-1827)

Peut-on capturer le son de l’éternité ? À quoi pourrait-il ressembler ? Ces questions sont au centre de la dernière œuvre du compositeur et chef d’orchestre américain Eric Whitacre (né en 1970), Eternity in an hour. Les BBC Singers lui ont demandé d’écrire une pièce à l’occasion du centenaire de leur existence. Pour tenter de saisir cette période de temps, Whitacre a cherché un texte qui transcende le temps, comme un contrepoids au rythme effréné de notre existence. Son choix s’est arrêté sur Auguries of Innocence (Augures d’innocence) de l’artiste anglais William Blake, un poème qui l’accompagne depuis son adolescence : « Le temps semble aujourd’hui fragmenté en moments presque insignifiants, dans une réalité digne de TikTok. Mon idée était de produire une heure de musique basée sur les quatre premières lignes du poème : de faire précisément ce que Blake nous pousse à faire et de rechercher cette éternité, en une heure. »

L’amour au premier regard

Whitacre n’est pas un inconnu chez nous. Avec son style contemporain, mais accessible et ses projets innovants, il a suscité une véritable révolution dans le monde choral : son premier album, Light & Gold (2012), a été récompensé par un Grammy Award et l’album Water Night qui lui a succédé s’est également hissé dès sa sortie à la première place du classement des enregistrements classiques d’iTunes. Avec son projet en ligne Virtual Choir, il a réussi à toucher un large public, transcendant les frontières nationales et les limites d’âge.

Depuis lors, Whitacre travaille en tant que compositeur et chef d’orchestre avec des chœurs du monde entier, de VOCES8 à The King’s Singers. Il entretient également un lien particulier avec le Chœur de la Radio flamande. Il dit avoir eu le coup de foudre lorsqu’il est venu pour la première fois en Belgique en 2016. Entre-temps, il a conquis le public belge avec divers projets choraux, d’un programme autour des compositeurs qu’il admire à sa première composition d’envergure The Sacred Veil en passant par la première belge de Deep Field, son dernier projet Virtual Choir. Cette fois-ci, il assure la création belge d’Eternity in an hour, œuvre créée au Royal Albert Hall de Londres le 4 septembre 2024. Ici, Whitacre ne se limite pas à la composition et à la direction : il est également à la manœuvre de toute une batterie d’appareils électroniques.

Suppression du temps

Pour ses œuvres, Whitacre s’inspire souvent de la poésie. Ainsi, il a précédemment utilisé les vers du poète mexicain Octavio Paz et a travaillé en étroite collaboration avec le poète Charles Anthony Silvestri (°1965), son ami d’enfance, pour certaines de ses compositions les plus connues. L’interaction entre un poème et sa musique est pour lui comme l’entrée dans une relation : « Il y a d’abord l’étape de la séduction, lorsque je lis le texte pour la première fois et que le poème flirte avec moi. Vient ensuite le moment où je m’y plonge complètement. Et plus tard, il y a la phase où j’essaie de m’exprimer musicalement afin que la musique sonne comme la poésie le fait pour moi. »

Sa fascination pour le poème de Blake remonte à son adolescence. À l’époque déjà, il y faisait un parallèle entre les quatre premiers vers et la philosophie bouddhiste à laquelle il s’intéressait : « Il s’agit de saisir l’instant présent, ou quelque chose d’aussi insignifiant qu’un grain de sable, et d’y voir un univers complet. Comme le dirait un bouddhiste zen, le but est d’aborder les choses avec un esprit neuf, d’abandonner la “maladie” de l’expérience et de voir le monde tel qu’il est. »

C’est à cela que Whitacre s’attelle ici. Avec la voix humaine, quatre instruments à cordes, un piano et électronique, il arrête le temps pendant une heure. Partant d’un moment précis, d’un élément musical simple, il le fait tourner pendant de longues minutes. Les voix sont étirées et manipulées électroniquement, le chœur et les musiciens réagissent à leur tour à certaines impulsions générées par les synthétiseurs. Le choix de l’électronique comme partie intégrante de l’instrumentation n’est pas fortuit : « Lorsque j’ai commencé à réfléchir à l’instrumentation, j’ai réalisé à quel point l’électronique s’apparentait au premier vers du poème de Blake. Ainsi, le mot “grain” fait partie du jargon de la synthèse électronique. Dans la synthèse granulaire, un échantillon sonore est découpé en millions de morceaux, ou grains. Ceux-ci sont utilisés pour créer des nuages sonores. En faisant cela pendant la représentation, j’intègre les mots de Blake à un niveau plus profond et plus poétique encore. »

Le résultat est un flux presque continu de voix et de sons, une musique qui oscille entre minimalisme et ambient. Et surtout : une musique créée dans l’instant, ce qui rend chaque représentation unique.

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