Janáček avait 72 ans quand il écrivit le recueil Říkadla, avec des chansons sur le mariage d’une betterave ou sur une femme qui tombe dans la soupe. Ces joyeuses miniatures sont un clin d’œil aux compositeurs qui abordent les œuvres « humoristiques » avec un trop grand sérieux.

L’écrivain tchèque Milan Kundera écrivit ceci à propos de Leoš Janáček (1854-1928) : « Si Janáček était mort à 50 ans, il serait aujourd’hui une note de bas de page dans l’histoire. » En effet, le compositeur mit plusieurs décennies à développer son langage et ne composa ses meilleures œuvres que dans les vingt dernières années de sa vie. Il était particulièrement motivé par la reconnaissance publique de son travail, mais c’est aussi sa passion pour Kamila Stösslová, de quarante ans sa cadette, qui nourrit son inspiration à partir de 1917.

L’envie d’innover qui caractérise les œuvres tardives de Janáček est également à mettre en lien avec la fascination du compositeur tchèque pour la musique et la langue de son pays. L’histoire raconte qu’il transcrivait les conversations qu’il entendait autour de lui dans les cafés et autres lieux publics, convaincu que les mélodies qui en résultaient pouvaient donner une idée de l’état d’esprit du locuteur : « Les inflexions du langage parlé montrent si la personne est folle ou sage, endormie ou éveillée, fatiguée ou alerte. » À partir de 1897, il travailla à une théorie des chants parlés, s’efforçant de produire une représentation aussi exacte que possible de la vitesse, de la hauteur, de l’intonation et du rythme du langage parlé. Dans sa musique, les mélodies ne suivent pas seulement les lignes ascendantes et descendantes et les phrases courtes et irrégulières de la langue ; elles permettent également de caractériser les personnages.

Janáček appliqua également ce principe aux comptines de son recueil Říkadla. La musique présente des traits tout aussi absurdes que les paroles. Certaines ont même un petit côté sadique : « Ma femme est haute comme une botte, je la mettrai dans la casserole avec un couvercle par-dessus, pour qu’elle cuise dans ma popote. » Si Janáček avait déjà 72 ans lorsqu’il composa le recueil, il n’avait certainement pas oublié les jeux de son enfance. Pour rendre l’atmosphère enfantine et humoristique, il utilise des instruments bizarres tels qu’un ocarina, des clarinettes de différentes tailles et un tambour d’enfant. En 1924, il rédigea une première version à huit comptines pour trois voix de femmes, clarinette et piano. Pour la version finale de 1926, il en augmenta le nombre ainsi que la taille de l’ensemble, ajoutant des voix et des instruments particulièrement graves comme le (contre)basson et la contrebasse.

Říkadla I-IX


I. Úvod 

II.
Řípa se vdávala,
cerel pískal,
mrkev tancovala,
a křen to všecko spískal,
říkadla spískal.
Tidli, tidli, tidli.
Tidli, fidli, tidli.
Tidli, dudli, tidli!

I. Introduction

II.
Betterave s’est mariée,
céleri a joué du pipeau,
carotte a dansé,
mais tout est la faute de radis noir,
toutes ces chansonnettes sont de sa faute.
Tidli, tidli,
Tidli fidli,
Tidli dudli.


III.
Není lepší jako z jara,
zelená se v poli tráva.
Koza leží na mezi,
nic ji ležet nemrzí

III.
Rien n’égale le printemps,
l’herbe verte pousse dans le champ,
la chèvre s’étend près de la haie,
où elle aime se reposer.


IV.
Leze krtek podle meze,
vyměřuje louku.
Sysel za ním pytle veze,
že bude mlít mouku.

IV.
Taupe longe la haie,
mesurant la prairie;
Hamster la suit avec une brouette pleine de sacs,
prêt à moudre le grain


V.
Karel do pekla zajel
na bílém koni,
čert ho tam honí.
Nevěděl kudy,
koupil si dudy.
Nevěděl ještě,
koupil si kleště.
Nevěděl nic,
koupil si klíč.

V.
Charlie a pris le chemin de l’enfer
sur un cheval blanc
et le diable l’y poursuit maintenant.
Il ne connaissait pas le chemin
et s’est acheté une cornemuse.
Insatisfait, il a acheté des tenailles.
Pas plus avancé,
il s’est acheté une clé.


VI.
Roztrhané kalhoty,
vítr do nich fouká,
budu si je zašívat;
pavouk niti souká.

VI.
Mes pantalons sont en lambeaux,
le vent souffle à travers.
Je vais les recoudre,
araignée, prépare-moi du fil.


VII.
Franta rasů hrál na basu  
Franta rasů hrál na basu,
staré krávě u ocasu.
Stará kráva byla ráda,
že má Frantu kamaráda.

VII.
Frankie, le jeune équarrisseur, a joué de la
contrebasse sur la queue de la vieille vache.
La vieille vache était heureuse
d’avoir Frankie pour ami.


VIII.
Náš pes, náš pes zlámal ocas;
pro svojí dobrotu strčil ho do plotu.
Náš pes! Náš pes!

VIII.
Ce chien, notre chien, s’est cassé la queue;
pour son malheur, il l’a coïncée dans la clôture.
Notre chien! Notre chien!


IX.
Dělám, dělám kázání  
čtyři kočky svázáný,
a pátý pes, do pece vlez,
ukrad tam topinku,
běžel s ní po rynku;
potkala ho kráva,
to byla jeho máma;
potkal ho bulíček,
to byl ten tatíček,
potkal ho bejček,
to byl ten strejček;
potkal ho hřebeček,
to byl ten dědeček.
Potkala ho kozička,
to byla jeho babička!

IX.
Je te fais un sermon:
quatre chats attachés ensemble,
le cinquième, un chien, a grimpé dans le four,
a volé une tranche de pain
et a traversé avec la place du marché;
a rencontré une vache, c’était sa mère;
a rencontré un taureau, c’était son père;
a rencontré un veau, c’était son oncle;
a rencontré un poulain, c’était son grand-père;
a rencontré une chèvre, c’était sa grand-mère

Říkadla X-XIX


X.
Stará bába čarovala,
z ječmene kroupy,
z prosa jáhly dělala,
to byly její čáry!

X.
La vieille sorcière jetait un sort,
elle faisait du gruau avec de l’orgedes gousses
avec du millet, tant son pouvoir magique était grand!


XI.
Hó, hó, krávy dó,
nesó mliko pod vodó,
nesó mliko pul židlíka.
Kde je naše jalová?
U božího kostela.
Kostel se boří, stodola hoří.
Skoč panenko do vody,
máš tam zlaté korály.
Nač bych já tam skákala,
sukýnky si máchala,
kde bych si je sušila?
U pastýřa v koutku,
na zeleném proutku.

XI.
Ho, ho, voici les vaches qui passent,
portant leur lait sous l’eau,
portant l’équivalent d’un demi pichet de lait.
Où est notre génisse?
Tout près de l’église de Dieu.
L’église s’effondre, la grange brûle.
Saute dans l’eau, ma petite,
tu y trouveras des perles d’or.
Pourquoi devrais-je sauteret mouiller mes jupes?
Où les sécherais-je?
Près de la chaumière du berger,
dans ce coin, sur une branche verte.


XII.
Moje žena malučičká,
postavím ju do hrnčička;
přikryjem ju poklievičkou!
Nech úvre mi s polievčičkou

XII.
Ma toute petite femme,
je la mettrai dans le chaudron,
je poserai dessus le couvercle
et elle se réchauffera avec la soupe.


XIII.
Bába leze do bezu,
já tam za ní polezu,
kudy bába, tudy já,
budeme tam oba dva!

XIII.
La vieille femme s’est glissée dans le sureau,
et je m’y glisserai avec elle;
où qu’elle aille je vais aussi
et nous serons ensemble!


XIV.
Koza bílá hrušky sbírá,
strakatá je třese.
Bílá je ponese
zítra do Kolína!

XIV.
Une chèvre blanche ramasse des poires,
une chèvre blanche ramasse des poires.
Une jument les fait tomber.
La chèvre blanche les portera à Colin demain.


XV.
Němec brouk, hrnce tlouk,
házel jimi přes palouk,
a s palouku do louže,
šelma němec v hrdlo lže!

XV.
Le scarabée allemand a écrasé les pots,
les a jetés à travers la clairière,
et de là, dans la flaque d'eau,
un astucieux scarabée allemand vous ment au visage.


XVI.
Koza leží na seně,
ona se na mně směje,
chytím kozu za bradu,
povedu ji do Brodu.
V Brodě koze nemajú,
šidlem mléko jídajú,
pantokem chleba krajajú,
měchem drva štípajú!

XVI.
La chèvre est étendue dans la paille
et se moque de moi.
Je vais l’attraper par la barbichette
et l’emmener à la ville de Brod.
A Brod ils n’ont pas de chèvres
ils boivent le lait avec une alêne de cordonnier,
tranchent leur pain avec une hachette
et coupent le bois avec un soufflet!


XVII.
Vašek, pašek, bubeník,
zahnal kozy za rybník.
Kozy se mu splašily,
do vody mu skočily.

XVII.
Wenceslas, le tambour malin,
a conduit ses chèvres à l’étang.
Les chèvres se sont emballées
et ont sauté dans l’eau.


XVIII.
Frantíku, Frantíku,
dobrá kaša na mlíku,
ešče lepší na smetaně,
ale sa ti nedostane!

XVIII.
Frankie, Frankie,
un bon pudding fait avec du lait,
et meilleur encore avec de la crème;
mais il n’en restera pas pour toi.


XIX.
Seděl medviď na kolodi,
nohaveci kraje,
Koloda sje pohinaje,
on kolodi laje.
Hop, cup, cumandra,
cumandrata moloda.

XIX.
Ours s’est assis sur un tronc, coupant la jambe
de son pantalon,
Le tronc se met à rouler, ours à grogner,
le tronc se met à rouler, ours à grogner.
Hop, hop, hoppity hop, quelle misère!
Hop, hop!
Hop, hop, hoppity hop, quelle misère!


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