Vers 1980, l’œuvre de Pärt prit un tournant décisif. Dès lors, il se consacra principalement à la musique sacrée et vocale, souvent fondée sur des textes bibliques. Dans son Miserere (1989), il combine deux sources : les versets du Psaume 50, où le roi David implore le pardon après avoir été accusé d’adultère et de meurtre, et le texte apocalyptique du Dies Irae de la messe des morts. Dans la coda, les deux perspectives se fondent en une seule prière silencieuse.

Entre les silences

La structure et l’instrumentation de l’œuvre sont entièrement dictées par le texte. Le monologue pénitentiel de David est mis en musique de manière syllabique pour solistes, tandis que le Dies Irae éclate avec toute la puissance du chœur et de l’orchestre. Même la ponctuation, le nombre de syllabes et les accents déterminent la forme musicale. Chaque mot du psaume est suivi d’une pause dont la longueur dépend de la ponctuation, conférant à chaque mot son propre poids et son propre sens.

« Cette œuvre est construite de telle sorte qu’un mot équivaut à une respiration, comme si, après avoir prononcé un mot, il fallait reprendre des forces pour le suivant. [...] Imaginez un criminel face au tribunal, attendant le verdict final, à qui l’on accorde une dernière chance de parler. Il lui reste peu de temps pour cette ultime déclaration ; il doit choisir ses mots avec le plus grand soin, car son destin en dépend. Chaque mot est comme un petit poids qui tente de rétablir l’équilibre de la balance. »

- Arvo Pärt

Avec Miserere, Pärt montre que le silence peut être aussi expressif que le son. Et malgré l’effectif imposant (chœur, cinq solistes, orgue et un ensemble instrumental de douze musiciens), l’œuvre invite à l’introspection — l’un des traits qui rendent sa musique si captivante.

Miserere · Arvo Pärt

Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam. Et secundum multitudinem miserationum tuarum, dele iniquitatem meam.
Amplius lava me ab iniquitate mea et a peccato meo munda me.
Quoniam iniquitatem meam ego cognosco, et peccatum meum contra me est semper. (Psaume 51)

Dies irae, dies illa
solvet saeclum in favilla:
teste David cum Sibylla.

Quantus tremor est futurus,
quando iudex est venturus,
cuncta stricte discussurus.

Tuba mirum spargens sonum
per sepulcra regionum,
coget omnes ante thronum.

Mors stupebit et natura,
cum resurget creatura,
iudicanti responsura.

Liber scriptus proferetur,
in quo totum continetur,
unde mundus iudicetur.

Iudex ergo cum sedebit,
quidquid latet apparebit.
Nil inultum remanebit.

Quid sum miser tunc dicturus?
Quem patronum rogaturus,
cum vix iustus sit securus?

Dies irae, dies illa
solvet saeclum in favilla:
teste David cum Sibylla. (Dies irae)

Tibi soli peccavi et malum coram te feci, ut iustificeris in sermonibus tuis, et vincas cum iudicaris.
Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum et in peccatis concepit me mater mea.
Ecce enim veritatem dilexisti; incerta et occulta sapientiae tuae manifestasti mihi.
Asperges me hyssopo, et mundabor; lavabis me et super nivem dealbabor.
Auditui meo dabis gaudium et laetitiam et exsultabunt ossa humiliata.
Averte faciem tuam a peccatis meis et omnes iniquitates meas dele.
Cor mundum crea in me, Deus, et spiritum rectum innova in visceribus meis.
Ne proiicias me a facie tua et spiritum sanctum tuum ne auferas a me.
Redde mihi laetitiam salutaris tui et spiritu principali confirma me.
Docebo iniquos vias tuas et impii ad te convertentur.
Libera me de sanguinibus, Deus, Deus salutis meae et exsultabit lingua mea iustitiam tuam.
Domine, labia mea aperies et os meum annuntiabit laudem tuam.
Quoniam si voluisses sacrificium, dedissem utique; holocaustis non delectaberis.
Sacrificium Deo spiritus contribulatus; cor contritum et humiliatum, Deus, non despicies.
Benigne fac, Domine, in bona voluntate tua Sion ut aedificentur muri Ierusalem.
Tunc acceptabis sacrificium iustitiae, oblationes et holocausta; tunc imponent super altare tuum vitulos. (Psaume 51)

Rex tremendae maiestatis,
qui salvandos salvas gratis,
salva me, fons pietatis. (Dies irae)

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Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.
Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi. (Psaume 51)

Jour de colère, ce jour-là
réduira le monde en cendres,
ainsi l’attestent David et la Sibylle.

Quelle terreur nous saisira
quand viendra le Juge
scrutant tout avec rigueur.

La trompette, avec un son éclatant,
parcourant les tombeaux de la terre,
convoquera tous devant le trône.

La mort sera frappée de stupeur, et la nature,
quand la créature ressuscitera
pour répondre à celui qui juge.

Un livre sera ouvert
où tout est consigné,
et c’est de là que le monde sera jugé.

Quand le Juge siégera,
tout ce qui est caché paraîtra,
rien ne restera impuni.

Que dirai-je, malheureux que je suis ?
Quel défenseur implorer,
quand le juste lui-même est à peine en sécurité ?

Jour de colère, ce jour-là
réduira le monde en cendres,
ainsi l’attestent David et la Sibylle. (Dies irae)

Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.
Ainsi tu peux parler et montrer ta justice,
être juge et montrer ta victoire.
Moi, je suis né dans la faute,
j’étais pécheur dès le sein de ma mère.
Mais tu veux la vérité au fond du cœur,
dans le secret tu m’apprends la sagesse.
Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ;
lave-moi et je serai plus blanc que neige.
Fais que j’entende les chants et la fête :
ils danseront, les os que tu broyas.
Détourne ta face de mes fautes,
enlève tous mes péchés.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.
Rends-moi la joie d’être sauvé,
que l’esprit généreux me soutienne !
Aux pécheurs j’enseignerai tes chemins,
vers toi reviendront les égarés.
Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur,
et ma langue acclamera ta justice.
Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.
Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas,
tu n’acceptes pas d’holocauste.
Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé ;
tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé.
Accorde à Sion le bonheur,
relève les murs de Jérusalem.
Alors tu accepteras de justes sacrifices,
oblations et holocaustes ;
alors on offrira des taureaux sur ton autel. (Psaume 51)

Roi de redoutable majesté,
toi qui sauves ceux qu’il faut sauver gratuitement,
sauve-moi, source de miséricorde. (Dies irae)

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Psaume 51 : La Bible, traduction liturgique (AELF, 2013)

Dies irae : Missel romain (AELF, 2005)