Polyphonie : ici et maintenant, en musique et dans la société

Polyphonies n’est pas un concert classique, mais bien une expérience-concert : une autre manière d’écouter et de découvrir l’évolution de la musique dans l’espace. Accompagné des chanteurs du Vlaams Radiokoor, le chef d’orchestre Kaspars Putninš et Adja Fassa, le public circule librement dans l’espace. Le tout forme un paysage sonore vivant. Les voix se mélangent et se séparent à nouveau — et la musique voyage avec elles. En tant que spectateur, vous faites partie de ce tout. Vous pouvez choisir de vous asseoir ou de vous appuyer sur des éléments de la scénographie haute en couleur, ou alors de vous déplacer dans le hall Horta. Suivez la musique, et laissez-vous guider par vos étonnements et votre curiosité.

Écoutez : la musique et les autres

« Comment écoutons-nous vraiment la musique, et comment nous écoutons-nous les uns les autres ? » s’est demandé la metteuse en scène Aïda Gabriëls. C’est de cette interrogation que part Polyphonies. Comme à son habitude, cette artiste rompt avec les codes classiques des concerts. Pas de scène, pas de sièges en velours, mais un espace ouvert avec des éléments sur lesquels le public peut s’asseoir ou s’appuyer. Les chanteurs et le public peuvent se déplacer librement. Votre perception des voix du chœur et d’Adja Fassa dépendra de votre position. Chaque pas, chaque déplacement changera la musique, pour vous, mais aussi pour les autres. « Nous écrivons collectivement une nouvelle histoire, où chacun sort un peu de sa zone de confort. Dans cette histoire, le public joue un rôle essentiel », explique Aïda.

C’est une expérience non seulement pour le public, mais aussi pour les artistes. Alors qu’un chœur chante habituellement en groupe, que les chanteurs entendent ceux qui sont plus proches et qu’ils communiquent constamment par le langage corporel et le contact visuel, ils voient soudainement ce cadre disparaître. Éparpillés dans l’espace, les chanteurs sont obligés de se redéfinir. Adja Fassa cherche aussi sa place dans cette constellation. Avec ses improvisations vocales et sa propre musique, elle ajoute à l’ensemble une tout autre pratique artistique.

Le tout se mue en un organisme vivant, note Aïda, tout comme dans une société. Elle part en quête du « vivre ensemble » : comment trouver sa propre place tout en s’adaptant à l’autre ? Cette pensée résonne dans plusieurs textes, comme la Messe de Guillaume de Machaut et l’œuvre de Caroline Shaw. « Ce sont des textes religieux, mais ils visent avant tout à trouver une voie et une place. » Polyphonies constitue donc une réflexion sur une communauté, un individu et un collectif.

Une scène en mousse

Tout comme la musique, la scénographie occupe aussi une place éphémère. Les éléments colorés sur lesquels on peut s’asseoir ou s’allonger, faits de gros morceaux de mousse, sont rassemblés pour le concert et retourneront ensuite à l’usine où ils ont été conçus. Le mobilier en mousse, disséminé dans l’espace, invite les spectateurs à l’exploration. Ainsi, le monumental hall Horta se transforme en un environnement souple et modulable.

Un enchevêtrement musical

Le titre fait référence à la polyphonie : une technique de composition où plusieurs voix forment un tout sans perdre de leur identité. Le programme musical relie la polyphonie d’antan à notre époque, en partant d’un exemple typique du XIVe siècle : la Messe de Nostre-Dame de Guillaume de Machaut. Les voix s’y enlacent dans un jeu de lignes architectural, avant que la polyphonie n’évolue en tapis de vagues sonores dans l’œuvre contemporaine Nuits, Adieux de Kaija Saariaho. Bien loin des contrepoints structurés, Aïda nous propose « un enchevêtrement musical, un paysage imprévisible où les sons fusionnent et se dissolvent. » Entre ces œuvres s’enfilent des compositions de Julia Wolfe, Caroline Shaw, Anna Thorvaldsdottir et Patricia Van Ness interprétées a capella par Alexis Nootens. Adja Fassa improvise sur la musique du chœur et propose également une de ses propres compositions. La polyphonie apparaît donc sous diverses formes et dans différents genres, du Moyen Âge à nos jours.

Jenske Vanhaelemeersch

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